Sur la route d'Amsterdam

Sur la route d'Amsterdam

Jour J : Episode 5 : Stairway to Heaven*

*Stairway to Heaven (L'escalier pour le paradis) - Led Zeppelin - Album Led Zeppelin IV 1971

 

Dernier tour. Depuis le temps que j'attends de me dire "c'est ton dernier tour". Je sais que c'est bientôt la fin d'une formidable aventure et que je dois profiter un maximum de ce qu'il me reste à faire. Assez étonnement, j'arrive à profiter et à prendre du plaisir sur cette dernière boucle de 7km de course à pied malgré les douleurs et la fatigue. Le public y est certainement pour beaucoup. Il est bientôt 19h. Le soleil, paresseux, s'était refusé à m'accueillir avant mon départ ce matin et ne m'accompagnera pas pour mon arrivée non plus ce soir. Ses derniers rayons s'évanouissent derrière l'horizon rougissant pour laisser place à la fraîcheur et l'humidité des soirées hollandaises. Les fidèles spectateurs sont toujours présent pour m'apporter un dernier soutien. Certains demandent en anglais :"C'est ton dernier tour ?". Je réponds oui avec fierté, satisfaction et soulagement. "Félicitations ! Tu es un finisher !" clament-ils en me laissant continuer vers le prochain spectateur complaisant. Je croise pour la dernière fois ces personnes que je ne connaissais pas et qui ne me connaissaient pas non plus il y a quelques heures de cela mais qui pourtant m'ont encouragé comme un de leur proche toute la journée. Avec un petit pincement au coeur, je les remercie de vive voix et d'un petit signe de la main. Même tarif pour les bénévoles des ravitaillements qui toute la journée ont jonglé avec les gobelets, les gels et les éponges pour proposer dans les meilleurs conditions des ravitaillements complets à plus de 2500 athlètes s'étant succédé sur ce marathon. Ces "adieux" m'occupent bien l'esprit et me redonne un peu d'énergie pour courir, je ne marche pratiquement pas et ne me ravitaille qu'une seule fois dans ce dernier tour. Je passe le dernier ravitaillement et croise la dernière pancarte indiquant les kilomètres parcourus pour chaque tour. 41km. Il me reste à peine plus d'un kilomètre et j'aurai réalisé mon rêve, finir un Ironman. Ma préoccupation maintenant est d'arriver seul. Je sais qu'il doit y avoir des photographes à l'arrivée pour les souvenirs alors j'ai envie d'être seul sur mes photos et pouvoir profiter de l'instant sans être gêné. J'ai doublé des personnes il y a peu mais elles marchaient, je me retourne mais elles sont loin. Une personne est devant moi mais je suis presque sûr qu'il lui reste au moins un tour après l'avoir entendu répondre à un bénévole qui m'avait aussi demandé si je finissais. C'est bon, je serai seul à l'arrivée, j'aurai une belle photo. J'arrive au parc à vélo que je longe pour la dernière fois avec sa rangée de drapeaux, un pour chaque nationalité représentée sur le triathlon, et je peux voir le stade d'arrivée face à moi, tous projecteurs allumés.

Je vois Florian de loin avec le drapeau français, le même que Camille a dû porter à son arrivée je suppose. Il va me le tendre, j'hésite à le prendre. Après une grosse hésitation, je lui fais signe que non, je ne le prendrai pas. Pour moi, le drapeau est réservé pour les premiers et comme j'arrive loin de la tête de course je ne me vois pas arriver brandissant le drapeau tricolore. Je suis loin, il ne doit pas rester grand monde à l'arrivée comme il fait presque nuit, je serai plus encombré qu'autre chose alors je ne le prends pas. Je prévois juste d'enlever ma visière pour qu'on me reconnaisse mieux sur les photos et de faire un dernier signe aux spectateurs restant qui m'ont si bien encouragés aujourd'hui. J'entre dans l'enceinte d'arrivée.

Mais que ce passe-t-il ? Les tribunes sont presque pleines encore ! Il y a un spectacle ou quoi ? Ils font les podiums des vainqueurs seulement maintenant ? Surpris du monde encore présent, je retire ma visière et esquisse un rapide signe discret de la main en guise de salut. Le public m'acclame. Encore plus surpris de leur réaction, je refais un signe en agitant ma visière en direction de la tribune. Le public m'acclame un peu plus, ils sont vraiment sympas quand même. Le speaker, toujours aux aguets malgré l'arrivée des premiers athlètes il y a plusieurs heures de cela, se retourne et me fixe. Je le vois se pencher pour lire mon dossard. Il lance au micro une phrase en néerlandais, dans laquelle je ne comprends que mon prénom, avec une intonation digne de la présentation du vainqueur. Et le public s'enflamme encore un peu plus. Ils sont hyper hyper sympas ou ils croient que c'est moi qui aie gagné ? Quoi qu'il en soit l'ambiance est fantastique. J'effectue le demi tour que j'attendais tant à chaque passage dans le stade pour avoir enfin face à moi cette fameuse finish line. J'envoie avec les mains des baisers en direction des tribunes pour les remercier une dernière fois de cet accueil chaleureux pour mon arrivée. Le speaker dit mon nom une dernière fois et les applaudissements me poussent sous le portique d'arrivée où pend le chrono qui immortalisera sur les photos le temps réalisé pour ma performance. La voilà enfin cette ligne d'arrivée tant convoitée, celle dont j'ai tant rêvé, que j'ai attendu, pour laquelle je me suis préparé dur pendant quatre mois. En tant que fan d'Alberto Contador, je décide de mimer son signe fétiche lorsqu'il gagne une course. Le signe du pistolero. Je tape ma poitrine avec mon poing, mime un pistolet avec mes doigts et tire une balle au moment où je franchis la ligne en entendant le bip du capteur détectant ma puce et arrêtant définitivement mon chrono. C'est la délivrance, la joie, le bonheur, la satisfaction et la fierté une fois la ligne passée. Immédiatement après s'approche de moi un visage qui ne m'est pas inconnu. Je me souviens, c'est lui qui avait accueilli Camille l'an dernier lorsqu'elle était à genoux la caméra du direct pointée sur elle. C'est Patrick Seinstra, le président de l'organisation du Challenge Almere-Amsterdam. Il m'accueille la main tendue vers moi pour me saluer avant de me remettre la médaille de finisher. En anglais, il me félicite d'être un finisher et me souhaite de revivre un tel événement sur un prochain triathlon du groupe Challenge. Je vois juste à côté de lui le cameraman filmant notre accolade. Je passe au grand écran et en direct sur internet. Je pensais que ce n'était que pour les premiers et qu'à l'heure où j'arriverai il n'y aurait plus de direct, plus de caméra, juste des photographes. Pas du tout, j'ai droit au même traitement de faveur que tous les autres triathlètes qui m'ont précédés. Quelle arrivée ! Quel moment de gloire ! Je n'aurais jamais pu rêvé de ça. Je dois être sur un escalier pour le paradis !

Ma médaille autour du cou, je vois apparaître juste devant moi Camille qui m'enlace pour me féliciter. Les photographes se précipitent ayant reconnus la vainqueur de la course féminine pour nous photographier, m'éblouissant des tous leurs flashs crépitants. Je comprends à cet instant pourquoi Florian m'avait proposé le drapeau, j'aurais pu poser avec Camille et le drapeau qu'elle avait si glorieusement brandi quelques heures auparavant. Dommage mais ce n'est pas grave, le moment est déjà assez énorme. Juste après apparaissent Manon et Jonathan pour également une accolade de félicitations. Je ne vois arriver les gens qu'au dernier moment, comme si j'avais des oeillères et que ma vue avait fortement baissé. Je ne sais pas si c'est l'effort, la fatigue, les flashs des photos, les projecteurs braqués sur l'arrivée et donc dans ma direction mais je reconnais les gens que lorsqu'ils sont à 30 centimètres de moi. Drôle de sensation. Je vois à présent Florian arriver et je l'enlace en le remerciant pour tout ce qu'il a fait pour moi. Conseils, encouragements, soutien, suivi, entraînements, mécanique pendant mon stage dans les Pyrénées, sans lui, le défi aurait été beaucoup plus compliqué à réaliser. A peine les accolades terminées, une bénévole me couvre d'une couverture de survie pour me tenir chaud car la soirée commence à être fraîche et m'indique où se trouve la zone pour me restaurer. Nous nous y dirigeons ensemble pendant que je réalise ce que je viens de vivre à l'arrivée et que je comprends l'ambiance dont j'ai pu profiter. J'ai eu un accueil de vainqueur car tous les athlètes qui finissent un Ironman sont des vainqueurs. Certains vont juste un peu plus vite que les autres. Etre finisher est une victoire et elle est saluée de la sorte par l'organisation et le public souvent incrédule devant une performance que moi même je voyais il y a peu comme surhumaine.

Nous rentrons dans le hall du bâtiment dans lequel nous nous trouvions ce matin en attendant le départ. Je vois plusieurs dizaines de finishers en train de reprendre leurs esprits, de tomber dans les bras de leurs proches, de contempler leur médaille, de manger, de vomir... de digérer leur Ironman. Je commence à raconter ma course de façon désordonnée à cause de la fatigue et de l'excitation de partager ce moment. Florian, toujours bienveillant, me coupe et me conseille d'aller chercher mon sac "after race" pour me changer et passer des vêtements secs et chauds pendant que Jonathan va me chercher à manger et à boire. On ne s'attarde pas trop car nous devons encore récupérer les sacs et le vélo dans la zone de transition puis rentrer au camping. Harnachés de toutes nos affaires, nous enfourchons nos vélos et partons en direction du camping. Certains irréductibles spectateurs encore présents alors qu'il fait maintenant nuit noire, les bénévoles des ravitaillements et gardiens de carrefour nous félicitent encore et nous tapent dans la main voyant que nous sommes des finishers. Nous les remercions à nouveau tout du long du chemin de retour. Nous avons quitté le camping ce matin dans la nuit noire et nous le retrouvons dans la nuit noire. Nous ne tardons pas à poser nos affaires dans nos logements respectifs pour nous précipiter sous les douches. Quel bonheur ! La meilleure douche de ma vie !

Une fois propre, nous nous retrouvons tous dans ma cabane pour fêter cette journée mémorable et nos accomplissements. Florian dégaine une bouteille de champagne qu'il avait conservé au frais, sûr et confiant dans les capacités et la forme de sa championne de compagne. Nous trinquons pour la première victoire de Camille sur la distance Ironman ainsi que pour mon premier Ironman et le premier Half-Ironman de Manon et Jonathan. Après avoir bu la bouteille de champagne, goûté quelques bières en mangeant des cochonneries, la tête commence à tourner un peu. J'ai assez maltraiter mon corps aujourd'hui alors je ne vais pas le violenter plus que ça avec de l'alcool. Nous immortalisons ce moment avec quelques photos avant que tout le monde regagne leur "chez-eux" pour dormir. Certainement dû à la fatigue, je suis pris de terribles tremblements en me déshabillant pour me coucher. Je me précipite dans mon lit et là, effet totalement opposé, dû au traumatisme des muscles peut-être, je ressens une chaleur énorme sur les jambes, juste sur l'épiderme, comme si j'avais pris un énorme coup de soleil. Tant pis, dès que je sors un doigt de pied je grelotte alors je préfère avoir trop chaud et transpirer un peu sous mon drap.

 

Il est 23h30, ma journée infernale se termine, 20h30 après mon réveil. Je suis tellement fatigué que je n'ai même pas le temps de me remémorer ma course et de me refaire l'arrivée dans ma tête.

 

Je m'endors... le sourire aux lèvres.



18/09/2016
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