Jour J : Episode 1 : Highway to Hell*
*Highway to Hell (L'autoroute de l'enfer) - AC/DC - Album Highway to Hell 1979
Samedi 10 Septembre, 3h du matin. Mon téléphone sonne. Je me réveille immédiatement pour l'éteindre puis j'allume la lumière pour ne pas risquer de me rendormir. Je m'habille et me dirige vers mon petit déjeuner. Ce sera Gatosport au menu. Le Gatosport est une préparation spéciale pour la pratique du sport. Hyper complet pour faire le plein d'énergie avant une compétition, il a aussi l'avantage d'être très facilement digérable pour pouvoir être ingéré peu de temps avant l'effort, solliciter le moins possible l'appareil digestif et créer quasiment aucun déchet. On en revient toujours au même mais je dois pouvoir être "vide" au moment du départ et ce matin, aller aux toilettes est ma première des préoccupations. Boire et manger permet de mettre en route l'organisme alors le petit déjeuner revêt une importance toute particulière. Malheureusement, comme la veille au soir, le stress me noue l'estomac et avaler mes bouchées même bien mâchées devient presque un calvaire. Je pense de plus en plus au triathlon alors pour tenter de me changer les idées et essayer d'avaler plus facilement mon gâteau, j'allume mon ordinateur et lance un épisode d'une série. Mais rien à faire, le stress est plus fort et même inconsciemment il m'empêche de manger. Je bois beaucoup pour compenser et j'arrête de batailler pour ne pas me rendre malade et importuner mon corps que je vais déjà assez maltraiter toute la journée. J'arrive quand même à aller normalement aux toilettes ce qui me rassure. 5h30, il est l'heure de partir du camping direction l'esplanade d'Almere où se situe le départ.
Nos vélos étant déjà en place dans le parc, nous devons nous y rendre à pied. Une marche d'environ 3 km nous attend pour rejoindre l'autre côté du lac dans lequel nous nagerons dans deux heures. Il fait encore nuit noire. Nous nous élançons avec nos sacs "after race" sur le dos, ceux qui servent pour nos affaires personnelles d'avant et après course. La marche est assez silencieuse. Je rentre petit à petit dans mon protocole de concentration. Chaque athlète à un protocole personnel, assez varié selon les individus. Sans forcement le savoir ni le faire exprès, nous en avons tous un. Ce que j'appelle le protocole est le comportement, les manies, les réflexes voire même des TOC, l'organisation, en gros tout ce qui fait notre façon d'agir avant un événement important. Certains se renferme et restent très discret, d'autres ont besoin d'être très expressifs pour extérioriser leurs émotions, d'autres écoutent de la musique calme ou au contraire très rythmée, enfin certains doivent rester actifs, bouger, être toujours en action et bien souvent en faisant quelque chose qui n'est pas du tout en lien avec ce qui les attend après. Moi je suis du genre discret, calme, silencieux, renfermé. J'ai besoin de me parler dans ma tête, de visualiser mon effort, mon parcours, de me focaliser uniquement sur ma course et sur rien d'autre. Rien ne doit venir perturber cette concentration pour que je sois à 100%. D'ailleurs quand j'arrive dans cet état là, beaucoup me disent qu'on dirait que je fais la gueule. C'est mon rictus facial j'y peux rien. Mais quand je suis comme ça, ça veut dire que je suis concentré et que rien ne me déviera de mon chemin... rien !
La nuit est silencieuse, nous aussi. Depuis le camping nous voyons de l'autre côté du lac l'esplanade déjà toute éclairée, comme nous indiquant le chemin à suivre. Elle nous attend. Le stress continue de monter avec cette vue presque angoissante. Seul le bruit de nos pas perturbe le silence d'une ville encore endormie mais qui s'éveillera bientôt pour vibrer jusqu'à tard le soir au rythme frénétique et chaotique de l'Ironman. Les derniers conseils de Florian brise ce silence mais pas ma concentration. Je n'en loupe pour autant pas une parole. Je bois quelques gorgées de ma boisson d'attente censée stabiliser ma glycémie, mais je bois aussi ses conseils en me les répétant dans la tête pour qu'ils deviennent une sorte de résonance qui m'accompagnera durant l'effort. Malgré cela, je trouve le chemin assez long et monotone, dû au stress je suppose. Long et monotone comme une autoroute. Une autoroute qui me mène vers le départ d'un effort sportif incroyablement long et difficile. Je suis sur une autoroute pour l'enfer !
Nous arrivons enfin à l'esplanade aux alentours des 6h. Il fait encore noir mais la musique est déjà lancée et nous accueille à l'entrée du parc à vélos. Je me dirige vers mon vélo, toujours silencieux, en essayant de me souvenir des points de repère que j'avais pris la veille. C'est bon j'y suis, les repères sont bons. Je place mes bidons sur le vélo et j'attends Florian avec la pompe pour remettre la bonne pression dans mes boyaux. Je regarde autour de moi et je vois d'autres triathlètes en train de vérifier la pression des pneus, placer leurs bidons et vérifier une dernière fois leur vélo tout aussi méticuleusement que moi. Ils sont aussi pour la plupart très silencieux. Un seul, proche de mon emplacement, brise ce silence. "Bonne chance" me lance-t-il avec un sourire amical mais crispé. "Merci ! Bonne chance à toi aussi" répondis-je avec un sourire tout aussi amical mais tout autant crispé. On est dans la même galère. On s'encourage mutuellement dans l'attente d'une réponse réconfortante en retour. On a tous besoin d'être réconforté et soutenu. Ces paroles font un bien fou.
Maintenant que tout est en place, on va s'installer au chaud dans le hall du bâtiment où avait lieu le briefing et toutes les formalités administratives la veille. A partir de maintenant, nos programmes vont varier. Camille prendra le départ à 7h22, moi à 7h30 et enfin Manon, Jonathan et Florian partiront à 8h20. Toujours très calme, je me concentre en attendant l'heure de me préparer. 6h45, Florian nous donne le top à Camille et moi pour commencer à nous préparer. Première discipline de la journée, la natation ? Non, le "mettage" de combinaison néoprène. La combinaison serre et ne glisse pas très bien donc c'est toujours un moment assez folklorique. Mieux vaut prendre son temps et ne pas paniquer. Nous nous attelons à la tache. La combinaison est en place jusqu'à la taille de façon à n'avoir plus qu'à mettre les bras avant l'entrée à l'eau. Je fixe ma puce à la cheville gauche, j'empoigne mon bonnet et mes lunettes et nous sortons. Il est 7h10. Je n'ai jamais été aussi proche du départ de l'objectif le plus grandiose de ma vie et malgré cela les dernières minutes me paraissent durer une éternité. Je n'aime pas les avant-courses. Cette attente, ces préparatifs, je trouve ça long et stressant. Je n'ai qu'une hâte c'est que le départ soit donné pour enfin être dedans et ne me concentrer que sur mon effort. Nous sortons du bâtiment pour nous diriger dans le parc à vélo où se trouve l'entrée à l'eau. Le jour se lève, le soleil ne s'est pas encore montré mais le ciel prend une teinte bleu gris clair avec l'horizon légèrement jauni annonçant l'arrivée des premiers rayons de soleil. Un spectacle magnifique pour un départ en apothéose.
Les hommes pros sont présentés un par un par le speaker pour leur entrée à l'eau. Ils se placent entre les bouées de départ. Le coup de canon donne le signal de départ pour les 22 athlètes pros. Les 12 filles pros, dont Camille, suivent le même protocole avec la présentation, l'entrée à l'eau, le placement entre les bouées et le coup de canon pour s'élancer 2 minutes après leurs homologues masculins. Moi je suis encore dans le sas de départ au milieu des 360 athlètes amateurs homme et femme confondus cette fois-ci. Les regards se croisent, la joie, la peur, l'attente, l'angoisse, l'excitation, la concentration, la détermination, toutes ces émotions deviennent presque palpables pendant notre attente pour la mise à l'eau.
Enfin on nous fait signe d'aller entre les bouées de départ. Petit pic de stress quand le troupeau se met en mouvement à l'approche de la rampe. Très calmement, nous pénétrons un par un dans l'un des quatre couloirs menant à l'eau, sans bousculade, comme une lente procession. Une musique épique, digne d'une super production hollywoodienne, hurlée par les haut-parleurs du parc nous accompagne dans l'eau. Les centaines de spectateurs massés autour des barrières du sas applaudissent les triathlètes tels des gladiateurs entrant dans l'arène. Je m'approche du bord et les premières vaguelettes viennent me lécher les orteils. Je m'enfonce dans cette immense flaque sombre qui parait hostile, pas encore éclairée par le jour. L'eau est annoncée à 21°C et la fraîcheur matinale me permet de ne presque pas sentir le changement de température à l'entrée à l'eau. Je nage de façon souple et lente pour venir me placer entre les bouées de départ. J'y suis et le stress s'évanouit. La musique, toujours aussi grandiose, joue encore tandis que la voix du speaker annonce "Two minutes to go" et bientôt "One minute to go". La son diminue sensiblement jusqu'à devenir inaudible et laisse place au son des clapotis des athlètes faisant du sur place.
Le coup de canon retentit...
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