Sur la route d'Amsterdam

Sur la route d'Amsterdam

The End*

*The End (La fin) - The Doors - Album The Doors 1967

 

C'est la fin. La fin de ce blog. La fin d'une aventure. Une fin inéluctable que je redoutais. Mais pas pour ce qui suivra cette fin car je sais que je ne cesserai de chercher à réaliser mes rêves pour ne rien regretter en prenant toujours un maximum de plaisir. Je la redoutais parce que j'ai vécu quatre mois d'exception et que tout ça s'arrêtera violemment. J'ai vécu cette période avec un bonheur immense, en ne pensant qu'à mon objectif, mon rêve, mon Graal. Chaque jour était synonyme de sport, de plaisir, d'accomplissement et de perfectionnement. Ce que j'ai appris au cours de cette période, sur l'entrainement et la préparation, sur moi même, sur le triathlon et le sport en général, est inestimable.

Comme je l'ai dit dans un précédent article, j'ai découvert l'Ironman avec mon frère il y a près de 15 ans maintenant. Un reportage à la télé, la vision d'un sport atypique mélangeant les disciplines avec des distances dignes des plus grandes compétitions, une promesse avec mon frère qui tenait plus de la blague que du sérieux et voilà que cette épreuve hors du commun que je voyais comme irréalisable pour moi a commencé à trotter dans ma petite tête. Passé de rêve à projet, ce triathlon est devenu une obsession que je voulais assouvir afin de ne rien regretter plus tard. Attendant plusieurs années pour réunir les conditions optimales, financières, personnelles, professionnelles, logistiques, physiques et psychologiques, j'ai finalement décidé de passer à l'acte en cette année 2016. Je me suis essayé sur des triathlons "court distance" dès 2012 pour prendre la température de la discipline et savoir comment je réagirais pour connaitre mes points forts et points faibles. A vrai dire, je n'ai jamais eu l'ambition d'y performer mais l'idée lointaine du "Long Distance" guidait mes pas dans mes débuts hésitant de triathlète. Me sentant prêt, j'ai envoyé un message à mon frère pour lui faire part de mon souhait et j'ai reçu immédiatement un indéfectible soutien fraternel et ce jusqu'au jour J. C'était parti...

La suite, vous en connaissez les grandes lignes, que vous avez pu lire dans ces pages. L'idée du blog m'est venu de plusieurs collègues et supérieurs au travail. D'abord un peu réticent, doutant de mes talents d'écrivain et pensant facebook suffisant pour diffuser quelques photos et petits billets d'humeurs épisodiques, je me suis finalement laissé séduire par l'idée, ayant envie de partager mon aventure et de permettre à mes proches de me suivre et d'avoir quelques nouvelles. Si je suis capable de faire un Ironman, pourquoi pas tenir un blog ? Et comme dit Vincent Moscato : " A m'ment donné faut s'y filer" ! Finalement, ce ne fût pas si compliqué que ça, les idées fusant rapidement dans mon esprit. Pour les cinq épisodes du jour J, il m'a simplement suffit de raconter pas à pas ma journée avec honnêteté et sincérité. Rien n'y est inventé, caché, édulcoré ou exagéré. J'ai livré mes émotions, réactions et analyses personnelles telles quelles, sans tabou, sans honte ou scrupule car quand on veut partager, soit on le fait à fond, soit on ne le fait pas sinon ça perd tout son sens et son intérêt. 

J'espère vous avoir touché, que mon récit vous a plu et que vous avez vibré avec moi pendant cet épisode important de ma vie de sportif mais aussi de ma vie d'homme. J'ai reçu énormément de témoignages de sympathie, d'amitié et de soutien durant toute ma préparation et pour le jour J. Je tiens à vous remercier pour tout et vous assurer que vous avez grandement participé à ma réussite, que vous ayez pris part de près ou de loin à mon aventure. Et si j'ai pu faire naître en vous des vocations ou juste l'envie de réaliser un de vos rêves pour vivre un moment d'exception comme j'ai eu la chance de le faire, alors ce blog n'aura pas été vain.

 

Je voudrais adresser des remerciements spéciaux à mon frère Florian et sa compagne Camille, qui m'ont soutenu, conseillé, entraîné, supporté (dans tous les sens du terme) depuis le début jusqu'à la toute fin. Merci à eux pour ce stage de préparation de 6 semaines dans le Sud-Ouest, avec la découverte des cols pyrénéens, deux triathlons, un voyage en spectateur en Espagne à Vitoria et pleins de beaux souvenirs en tête. Grace à vous, mon rêve est devenu réalité et je ne sais comment je pourrais être assez reconnaissant pour tout ce que vous avez fait pour moi. Alors tout simplement... MERCI !

 

Cette histoire touche donc à sa fin, une happy end, mais une fin quelque peu mélancolique. Je ne regretterai jamais rien de ces quatre mois et termine avec un immense sentiment de fierté et d'accomplissement.

 

Samedi 10 Septembre 2016 : 3,8 - 180 - 42 ; 12h54m15s ; finisher

 

Fin. 


20/09/2016
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Jour J : Episode 5 : Stairway to Heaven*

*Stairway to Heaven (L'escalier pour le paradis) - Led Zeppelin - Album Led Zeppelin IV 1971

 

Dernier tour. Depuis le temps que j'attends de me dire "c'est ton dernier tour". Je sais que c'est bientôt la fin d'une formidable aventure et que je dois profiter un maximum de ce qu'il me reste à faire. Assez étonnement, j'arrive à profiter et à prendre du plaisir sur cette dernière boucle de 7km de course à pied malgré les douleurs et la fatigue. Le public y est certainement pour beaucoup. Il est bientôt 19h. Le soleil, paresseux, s'était refusé à m'accueillir avant mon départ ce matin et ne m'accompagnera pas pour mon arrivée non plus ce soir. Ses derniers rayons s'évanouissent derrière l'horizon rougissant pour laisser place à la fraîcheur et l'humidité des soirées hollandaises. Les fidèles spectateurs sont toujours présent pour m'apporter un dernier soutien. Certains demandent en anglais :"C'est ton dernier tour ?". Je réponds oui avec fierté, satisfaction et soulagement. "Félicitations ! Tu es un finisher !" clament-ils en me laissant continuer vers le prochain spectateur complaisant. Je croise pour la dernière fois ces personnes que je ne connaissais pas et qui ne me connaissaient pas non plus il y a quelques heures de cela mais qui pourtant m'ont encouragé comme un de leur proche toute la journée. Avec un petit pincement au coeur, je les remercie de vive voix et d'un petit signe de la main. Même tarif pour les bénévoles des ravitaillements qui toute la journée ont jonglé avec les gobelets, les gels et les éponges pour proposer dans les meilleurs conditions des ravitaillements complets à plus de 2500 athlètes s'étant succédé sur ce marathon. Ces "adieux" m'occupent bien l'esprit et me redonne un peu d'énergie pour courir, je ne marche pratiquement pas et ne me ravitaille qu'une seule fois dans ce dernier tour. Je passe le dernier ravitaillement et croise la dernière pancarte indiquant les kilomètres parcourus pour chaque tour. 41km. Il me reste à peine plus d'un kilomètre et j'aurai réalisé mon rêve, finir un Ironman. Ma préoccupation maintenant est d'arriver seul. Je sais qu'il doit y avoir des photographes à l'arrivée pour les souvenirs alors j'ai envie d'être seul sur mes photos et pouvoir profiter de l'instant sans être gêné. J'ai doublé des personnes il y a peu mais elles marchaient, je me retourne mais elles sont loin. Une personne est devant moi mais je suis presque sûr qu'il lui reste au moins un tour après l'avoir entendu répondre à un bénévole qui m'avait aussi demandé si je finissais. C'est bon, je serai seul à l'arrivée, j'aurai une belle photo. J'arrive au parc à vélo que je longe pour la dernière fois avec sa rangée de drapeaux, un pour chaque nationalité représentée sur le triathlon, et je peux voir le stade d'arrivée face à moi, tous projecteurs allumés.

Je vois Florian de loin avec le drapeau français, le même que Camille a dû porter à son arrivée je suppose. Il va me le tendre, j'hésite à le prendre. Après une grosse hésitation, je lui fais signe que non, je ne le prendrai pas. Pour moi, le drapeau est réservé pour les premiers et comme j'arrive loin de la tête de course je ne me vois pas arriver brandissant le drapeau tricolore. Je suis loin, il ne doit pas rester grand monde à l'arrivée comme il fait presque nuit, je serai plus encombré qu'autre chose alors je ne le prends pas. Je prévois juste d'enlever ma visière pour qu'on me reconnaisse mieux sur les photos et de faire un dernier signe aux spectateurs restant qui m'ont si bien encouragés aujourd'hui. J'entre dans l'enceinte d'arrivée.

Mais que ce passe-t-il ? Les tribunes sont presque pleines encore ! Il y a un spectacle ou quoi ? Ils font les podiums des vainqueurs seulement maintenant ? Surpris du monde encore présent, je retire ma visière et esquisse un rapide signe discret de la main en guise de salut. Le public m'acclame. Encore plus surpris de leur réaction, je refais un signe en agitant ma visière en direction de la tribune. Le public m'acclame un peu plus, ils sont vraiment sympas quand même. Le speaker, toujours aux aguets malgré l'arrivée des premiers athlètes il y a plusieurs heures de cela, se retourne et me fixe. Je le vois se pencher pour lire mon dossard. Il lance au micro une phrase en néerlandais, dans laquelle je ne comprends que mon prénom, avec une intonation digne de la présentation du vainqueur. Et le public s'enflamme encore un peu plus. Ils sont hyper hyper sympas ou ils croient que c'est moi qui aie gagné ? Quoi qu'il en soit l'ambiance est fantastique. J'effectue le demi tour que j'attendais tant à chaque passage dans le stade pour avoir enfin face à moi cette fameuse finish line. J'envoie avec les mains des baisers en direction des tribunes pour les remercier une dernière fois de cet accueil chaleureux pour mon arrivée. Le speaker dit mon nom une dernière fois et les applaudissements me poussent sous le portique d'arrivée où pend le chrono qui immortalisera sur les photos le temps réalisé pour ma performance. La voilà enfin cette ligne d'arrivée tant convoitée, celle dont j'ai tant rêvé, que j'ai attendu, pour laquelle je me suis préparé dur pendant quatre mois. En tant que fan d'Alberto Contador, je décide de mimer son signe fétiche lorsqu'il gagne une course. Le signe du pistolero. Je tape ma poitrine avec mon poing, mime un pistolet avec mes doigts et tire une balle au moment où je franchis la ligne en entendant le bip du capteur détectant ma puce et arrêtant définitivement mon chrono. C'est la délivrance, la joie, le bonheur, la satisfaction et la fierté une fois la ligne passée. Immédiatement après s'approche de moi un visage qui ne m'est pas inconnu. Je me souviens, c'est lui qui avait accueilli Camille l'an dernier lorsqu'elle était à genoux la caméra du direct pointée sur elle. C'est Patrick Seinstra, le président de l'organisation du Challenge Almere-Amsterdam. Il m'accueille la main tendue vers moi pour me saluer avant de me remettre la médaille de finisher. En anglais, il me félicite d'être un finisher et me souhaite de revivre un tel événement sur un prochain triathlon du groupe Challenge. Je vois juste à côté de lui le cameraman filmant notre accolade. Je passe au grand écran et en direct sur internet. Je pensais que ce n'était que pour les premiers et qu'à l'heure où j'arriverai il n'y aurait plus de direct, plus de caméra, juste des photographes. Pas du tout, j'ai droit au même traitement de faveur que tous les autres triathlètes qui m'ont précédés. Quelle arrivée ! Quel moment de gloire ! Je n'aurais jamais pu rêvé de ça. Je dois être sur un escalier pour le paradis !

Ma médaille autour du cou, je vois apparaître juste devant moi Camille qui m'enlace pour me féliciter. Les photographes se précipitent ayant reconnus la vainqueur de la course féminine pour nous photographier, m'éblouissant des tous leurs flashs crépitants. Je comprends à cet instant pourquoi Florian m'avait proposé le drapeau, j'aurais pu poser avec Camille et le drapeau qu'elle avait si glorieusement brandi quelques heures auparavant. Dommage mais ce n'est pas grave, le moment est déjà assez énorme. Juste après apparaissent Manon et Jonathan pour également une accolade de félicitations. Je ne vois arriver les gens qu'au dernier moment, comme si j'avais des oeillères et que ma vue avait fortement baissé. Je ne sais pas si c'est l'effort, la fatigue, les flashs des photos, les projecteurs braqués sur l'arrivée et donc dans ma direction mais je reconnais les gens que lorsqu'ils sont à 30 centimètres de moi. Drôle de sensation. Je vois à présent Florian arriver et je l'enlace en le remerciant pour tout ce qu'il a fait pour moi. Conseils, encouragements, soutien, suivi, entraînements, mécanique pendant mon stage dans les Pyrénées, sans lui, le défi aurait été beaucoup plus compliqué à réaliser. A peine les accolades terminées, une bénévole me couvre d'une couverture de survie pour me tenir chaud car la soirée commence à être fraîche et m'indique où se trouve la zone pour me restaurer. Nous nous y dirigeons ensemble pendant que je réalise ce que je viens de vivre à l'arrivée et que je comprends l'ambiance dont j'ai pu profiter. J'ai eu un accueil de vainqueur car tous les athlètes qui finissent un Ironman sont des vainqueurs. Certains vont juste un peu plus vite que les autres. Etre finisher est une victoire et elle est saluée de la sorte par l'organisation et le public souvent incrédule devant une performance que moi même je voyais il y a peu comme surhumaine.

Nous rentrons dans le hall du bâtiment dans lequel nous nous trouvions ce matin en attendant le départ. Je vois plusieurs dizaines de finishers en train de reprendre leurs esprits, de tomber dans les bras de leurs proches, de contempler leur médaille, de manger, de vomir... de digérer leur Ironman. Je commence à raconter ma course de façon désordonnée à cause de la fatigue et de l'excitation de partager ce moment. Florian, toujours bienveillant, me coupe et me conseille d'aller chercher mon sac "after race" pour me changer et passer des vêtements secs et chauds pendant que Jonathan va me chercher à manger et à boire. On ne s'attarde pas trop car nous devons encore récupérer les sacs et le vélo dans la zone de transition puis rentrer au camping. Harnachés de toutes nos affaires, nous enfourchons nos vélos et partons en direction du camping. Certains irréductibles spectateurs encore présents alors qu'il fait maintenant nuit noire, les bénévoles des ravitaillements et gardiens de carrefour nous félicitent encore et nous tapent dans la main voyant que nous sommes des finishers. Nous les remercions à nouveau tout du long du chemin de retour. Nous avons quitté le camping ce matin dans la nuit noire et nous le retrouvons dans la nuit noire. Nous ne tardons pas à poser nos affaires dans nos logements respectifs pour nous précipiter sous les douches. Quel bonheur ! La meilleure douche de ma vie !

Une fois propre, nous nous retrouvons tous dans ma cabane pour fêter cette journée mémorable et nos accomplissements. Florian dégaine une bouteille de champagne qu'il avait conservé au frais, sûr et confiant dans les capacités et la forme de sa championne de compagne. Nous trinquons pour la première victoire de Camille sur la distance Ironman ainsi que pour mon premier Ironman et le premier Half-Ironman de Manon et Jonathan. Après avoir bu la bouteille de champagne, goûté quelques bières en mangeant des cochonneries, la tête commence à tourner un peu. J'ai assez maltraiter mon corps aujourd'hui alors je ne vais pas le violenter plus que ça avec de l'alcool. Nous immortalisons ce moment avec quelques photos avant que tout le monde regagne leur "chez-eux" pour dormir. Certainement dû à la fatigue, je suis pris de terribles tremblements en me déshabillant pour me coucher. Je me précipite dans mon lit et là, effet totalement opposé, dû au traumatisme des muscles peut-être, je ressens une chaleur énorme sur les jambes, juste sur l'épiderme, comme si j'avais pris un énorme coup de soleil. Tant pis, dès que je sors un doigt de pied je grelotte alors je préfère avoir trop chaud et transpirer un peu sous mon drap.

 

Il est 23h30, ma journée infernale se termine, 20h30 après mon réveil. Je suis tellement fatigué que je n'ai même pas le temps de me remémorer ma course et de me refaire l'arrivée dans ma tête.

 

Je m'endors... le sourire aux lèvres.


18/09/2016
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Jour J : Episode 4 : ...So Long*

*...So Long (...si longue) - Leon Bridges - Album Coming Home- 2015

 

Le marathon. 42 kilomètres et 195 mètres. Marathon est une ville grecque. La légende (décriée) raconte que durant la guerre opposant les grecs aux perses en 490 avant JC, une bataille eut lieu à Marathon voyant les grecs remporter le combat. Le chef de l'armée grecque envoya un messager du nom de Philippidès apporter la nouvelle à Athènes. Philippidès parcourut la distance d'environ 40 km le séparant de la principale cité de la Grèce antique pour annoncer la victoire avant de mourir d'épuisement. La course "marathon" sera créée pour les Jeux Olympiques de 1896, proposant aux participants de rallier Marathon à Athènes pour commémorer cette légende. Ce n'est qu'en 1921 que l'IAAF déterminera la distance de 42,195km comme la norme du marathon.

C'est donc parti pour la dernière discipline de la journée. Je ne suis pas un spécialiste de la course à pied, loin de là, alors mon grand objectif de la journée jusqu'à maintenant a été de m'économiser pour arriver le plus frais possible au départ de se marathon. Le petit coup de mou durant le vélo m'avait inquiété mais ma décision de relâcher et de bien me ravitailler à été bonne car j'ai retrouvé de bonnes sensations. C'est bien, je suis lucide et je prends les bonnes décisions, je gère bien mon effort alors il n'y a plus aucune raison, sauf cataclysme ou météorite, que je n'aille pas au bout de mon rêve.

Dès la sortie du parc à vélo, je traverse le stade d'arrivée pour la première fois passant à côté de mon objectif, la finish line. Le portique d'arrivée tout de rouge vêtu trône là, entouré des tribunes noires de monde, avec son speaker et son animateur au centre du tapis rouge d'arrivée encourageant les athlètes et excitant des spectateurs extrêmement réactifs et chaleureux qui créent une superbe ambiance digne des plus grandes soirées de Champions League. Quel public ces hollandais, quelle ferveur, et pas que pour les locaux, pour tous les participants ! Je quitte l'enceinte pour entamer mon premier tour. La course à pied s'effectuera sur une boucle de 7km à parcourir 6 fois. On tournera autour du lac, en passant contre le camping où je loge, et revenant à l'esplanade en longeant le parc à vélo avant de repasser à chaque tour par le stade d'arrivée.

Le premier tour se passe pas trop mal, les bonnes sensations étant revenues, même si je suis moins rapide que ce que je pense être capable de faire. Je ne me fais pas de souci, avec les petits ennuis sur le vélo je ne préfère pas prendre de risque et jusqu'à maintenant mes décisions ont été bonnes alors je suis mon instinct et j'écoute mon corps. Toujours sur le même principe qu'en natation et en vélo, je me rappelle des conseils de Florian, ces fameuses résonances qui m'accompagnent. "Ne marche surtout pas sinon tu repartiras pas, ça sera trop dur", "N'oublie pas ton ravitaillement, ne rate aucun ravito", " Pas de nourriture solide, juste des gels, et bois, coca/eau, coca/eau, coca/eau". J'arrive au premier ravito, c'est le moment d'appliquer tout ça. Pour le passage au ravitaillement je peux marcher pour boire correctement mes verres sans m'étouffer mais je marche vite pour ne pas "m'endormir". J'avale mon gobelet de coca presque cul-sec, prends plus mon temps pour l'eau pour me rincer la bouche et ne pas garder trop le goût très sucré du coca dans la bouche ce qui me donnerai encore plus soif. Je repars en courant en même temps que je lance mon verre d'eau vide en prenant soin d'attraper une éponge humide en fin de zone de ravitaillement. Comme je n'ai qu'une visière - sorte de casquette mais ouverte sur le dessus pour laisser respirer le crâne et éviter l'effet bol pouvant entraîner une surchauffe - et que le soleil est à son zénith, je la presser sur ma tête, imbibant au passage ma visière et m'arrosant la nuque, les épaules et la partie supérieure de ma combinaison. Je suis bien au frais de cette façon et je ne crains absolument pas la chaleur de l'après-midi. La visière imbibée jouera le rôle de goutte à goutte en attendant le prochain ravitaillement.

J'arrive au deuxième kilomètre, où se trouve le "point coach", zone où l'aide extérieure est tolérée. Florian s'y trouve pour m'encourager et surtout pour renseigner Camille sur les écarts car elle est à la bataille pour la victoire dans une course qui se trouve à des années lumières de la mienne. Il m'encourage, je lui résume très rapidement ma course et mes tracas et il me rassure en courant pour me suivre : "Ne pense plus à avant, regarde devant ! Tu es pas mal tu as bien géré ton vélo, tu as une belle allure, regarde, il y a même des pros qui marche ! Ne marche surtout pas ! Pense bien à tes ravitaillements et n'oublie pas, coca/eau, coca/eau, coca/eau !". Je quitte la zone coach en gravant ses dires dans ma tête et je continue donc ma marche en avant, ou plutôt ma course en avant. Objectif : prochain ravitaillement. Pour ne pas trouver le temps trop long, je me fixe d'aller de ravitaillement en ravitaillement, sans penser au nombre de tour restant. Il faut s'occuper l'esprit et décomposer son marathon sinon c'est mentalement qu'on craque avant même le physique. De cette façon, j'arrive à la fin de mon premier tour sans l'avoir trouvé très long donc c'est bon signe. Je passe près de l'arche d'arrivée, ressort du stade et entame mon deuxième tour. D'avoir bu à chaque ravitaillement me pèse un peu sur le ventre, je sens le liquide gigoter dans mon estomac et j'ai peur d'être gêné si je continue à ce rythme. A nouveau, j'écoute mon corps et mon instinct et je décide de changer ma stratégie. Je boirai seulement tous les deux ravitos mais je prendrai toujours une éponge pour m'arroser à chaque ravito car le soleil lui ne se cachera pas. J'applique ma stratégie dès ce deuxième tour, j'en informe Florian au passage en zone coach et je verrai mes sensations à la fin du tour. Je me présente à nouveau au stade d'arrivée et ça va mieux niveau estomac. 14 km déjà de parcourus et les jambes commencent à être lourdes. Florian m'a prévenu que Camille allait gagner et qu'elle était dans son dernier tour juste derrière moi. Dilemme pour moi, je continue à mon rythme ou je l'attends pour l'encourager et la féliciter ? Elle n'a pas besoin de moi pour finir son marathon et j'aurai tout le temps de la féliciter après ma course alors je décide de continuer à mon rythme et de rester concentrer sur mon effort.

Je sors du stade d'arrivée pour commencer mon troisième tour et après 200 mètres j'entends derrière moi l'écho du micro du speaker annonçant l'arrivée de la première féminine. C'est Camille ! Merde... à 200 mètres près je pouvais l'accompagner en courant avec elle dans son finish et la voir arriver, victorieuse, tenant son drapeau français et tomber dans les bras de Florian une fois la ligne passée sous les confettis brillants saluant le vainqueur. Combien de fois aurai-je la chance de courir avec elle sur un finish d'Ironman que je fais en même temps qu'elle et qu'elle est en train de gagner ? Et c'est ça première victoire et là c'est sûr, ça sera la seule première fois. Cette idée me rend triste. J'aurais dû l'attendre... quitte à m'arrêter. Je regrette. Je suis triste et même énervé. Triste... vraiment triste. Je suis même sur le point de verser une larme quand j'ai un sursaut de lucidité. Je m'empresse que me parler : "Oh bordel Alexis, qu'est-ce que tu me fais ? Tu craques là ? Qu'est-ce que tu fous ? Reprends toi bordel c'est pas fini pour toi, tu as encore une longue route devant toi alors c'est pas le moment de flancher ! Ressaisis toi putain ressaisis toi !". C'est la première fois depuis le début de la journée que je dois m'insulter pour retrouver mes esprits. C'est pas bon signe. Je me rends compte que mes émotions ont pris le dessus. C'est la fatigue qui fait ça, elle décuple les émotions et c'est pour ça que cet événement m'a autant affecté. Lorsque les émotions prennent le dessus, c'est un signe de perte de lucidité et de concentration, la pire chose qui puisse m'arriver mais heureusement je m'en suis rendu compte et j'ai su réagir très vite. Je me reconcentre en vitesse sur ma course, mes ravitaillements pour essayer de penser à autre chose et ne pas me laisser envahir par ces émotions dévastatrices. C'était un avertissement, à partir de maintenant, la fatigue augmentant, ce sera une lutte de tous les instants pour conserver ma lucidité durant mes quatre prochains tours. Une lutte... si longue !

Je poursuis dans ce troisième tour. Les jambes sont lourdes. Tous les signes annonciateurs d'un état de fatigue avancé se multiplient. Je me rappelle ce que Florian me disait le matin même : "C'est en commençant le marathon que ta course commencera réellement, c'est là qu'il faudra être fort mentalement... très fort ! Là, tu devras prouver que tu es un homme de fer (Ironman) !". Il est difficile avant d'y être confronté de se rendre compte de ce que c'est réellement. On a beau se dire que ça va être long, dur, très dur, impossible de s'imaginer les vrais sensations de cet effort si spécifique. C'est en bouclant mon troisième tour synonyme de fin du premier semi marathon que je prends la mesure de la chose. Cette course porte bien son nom. Ironman, homme de fer en français. Il faut non seulement être un homme de fer physiquement mais aussi mentalement et c'est là le plus compliqué. Le corps, on l'entraîne, on le prépare, je l'ai préparé et comme me disait Florian, physiquement, ton corps peut aller au bout. Reste à savoir si la tête suivra. Une fois le quatrième tour entamé, je bascule dans une tout autre course, une course contre moi même. Mes jambes m'abandonnent petit à petit et je sais maintenant que cette lente déchéance ne s'inversera plus. Mes ischios-jambiers ne répondent plus. L'ischio-jambier est le groupe de muscles permettant entre autre la flexion du genou, indispensable pour courir. Mais ils ne répondent plus. Je traîne les pieds me servant seulement des muscles du dessus de la cuisse pour balancer littéralement mes jambes. Le geste devient machinal, chaotique, disgracieux, inélégant mais je parviens à faire quelque chose qui se rapproche vaguement de la course à pied. Effectivement mon corps continue à courir, il tient, je me demande comment mais il tient, simplement parce que mon cerveau lui ordonne alors que tous les voyants d'alerte s'allument. Je me suis répété tout le début du marathon que Florian ne voulait pas que je marche mais c'est trop dur. La douleur est plus forte que moi. Je craque. Je marche. Je fais même quelques arrêts pour m'étirer sentant les crampes arriver. Florian m'expliquera plus tard que ce n'est en fait pas des crampes, mais le muscle qui se raidi étant traumatisé par la longueur de l'effort et les toxines qui s'accumulent tout au long de la journée. Effectivement je n'irai jamais jusqu'à la crampe. J'essaye de courir jusqu'à chaque ravitaillement mais je dois marcher de plus en plus longtemps après chacun d'eux. Je me relance quand même pour ne pas trouver le temps trop long et me rapprocher de la ligne d'arrivée le plus vite possible pour mettre fin à ce calvaire.

Je boucle mon quatrième tour, j'en suis donc au 28ème kilomètre. Au passage vers la ligne, Manon, Jonathan et Florian m'encouragent. J'entends des encouragements, je reconnais des voix familières mais je ne comprends pas vraiment ce qu'on me dit. Tout le monde encourage, le speaker hurle dans son micro pour essayer de se faire entendre par dessus la musique jouée plein pot de façon à faire rester les gens dans une ambiance incroyable. Mais pour moi, tout n'est qu'un immense brouhaha inintelligible. C'est le cinquième tour. Toujours autant de difficultés pour courir, mais le public est incroyable. Ces personnes que je vois toujours au même endroit depuis le début du marathon ont encore le même engouement pour encourager chaque athlète. Et je dis bien CHAQUE athlète. Sur le dossard se trouve le numéro mais également le prénom, la catégorie et la nationalité. Les spectateurs peuvent donc lire notre prénom et nous encourager personnellement. Certains même lancent des encouragements dans un français approximatif mais tellement réconfortant. Une personne isolée, un couple, un groupe accompagné d'une sono diffusant sa musique sans discontinuer pour donner le rythme à ses pom-pom girls, tous vous encouragent par votre prénom. Lorsque vous êtes en détresse complète, vous ne pouvez même pas imaginer à quel point ça fait du bien. Eux l'ont parfaitement compris. A chaque passage ils réussissaient à m'arracher un sourire malgré la souffrance et les doutes. Ce sont des magiciens ! Mes meilleurs amis à ce moment là. Je les prendrais un par un dans mes bras si j'avais le temps. Sans eux, beaucoup n'iraient pas au bout, peut-être moi compris.

Je continue tant bien que mal à courir régulièrement me réconfortant de voir des gens autant en souffrance que moi. Pour certains c'est même pire. Je souffre pour eux et je compatis. Je suis au milieu d'un convoi de zombie. Je regarde les gens autour de moi mais la perte progressive de lucidité altère ma vue et ma perception des choses. J'ai l'impression d'être dans un film de guerre, vous savez cette scène où une explosion se produit proche du héros, qui voit d'un coup tout au ralenti, en noir et blanc avec un sifflement aigu constant, se relevant au milieu de ses compères boitant et titubant comme lui. C'est presque la même chose. Je me rapproche du stade d'arrivée et j'ai le droit aux derniers encouragements de Manon, Jonathan, Florian et aussi Camille toute fraîche revenant du massage. "Allez c'est le dernier tour, tu as fais le plus dur, c'est bientôt fini" me lance-t-elle. J'aimerai me convaincre qu'elle a raison mais j'ai quand même l'impression que le plus dur sera le dernier tour qui se présente à moi. Je passe dans le stade et laisse l'arrivée dans mon dos pour me diriger vers l'entame du dernier tour. C'est la sixième fois que je passe devant l'arrivée et que je la laisse dans mon dos, n'osant presque pas la regarder mais je sais qu'au prochain passage, je ferai demi tour pour mettre l'arche finale face à moi.

 

Kilomètre 35, c'est mon dernier tour...


17/09/2016
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Jour J : Episode 3 : Long Road Ahead...*

*Long Road Ahead... (Une longue route devant...) - Kevin MacLeod

 

La natation est maintenant derrière moi et se profile désormais la discipline normalement la plus longue du triathlon : le vélo. 180km, rien que ça. A l'instar de la natation, le vélo se présente en une boucle de 90km à parcourir deux fois. Les athlètes de l'Half ne feront donc qu'un tour et nous laisseront profiter des paysages que nous aurions éventuellement ratés au premier passage. Le parcours est parfaitement plat (nous sommes aux Pays-Bas NDLR), longeant la mer sur une trentaine de kilomètres puis revenant à Almere en traversant des champs d'éoliennes, typique du paysage du Flevoland. De longues lignes droites en perspective et du vent... du vent.... beaucoup de vent. Ce n'est pas pour rien que c'est le pays de l'éolienne et quand on voit à quelle vitesse tournent les pales géantes de ces récupérateurs d'énergie, on comprend assez vite qu'on risque de passer un sale quart d'heure. Et si seulement ça ne durait qu'un quart d'heure ! Une longue route devant moi m'attend.

J'entame donc mon premier tour et me remémorant les conseils de Florian. J'attends un peu avant de me ravitailler car après avoir passé 1h30 couché, en ayant peut-être avalé un peu d'eau du lac (je n'en ai pas l'impression en tout cas), mon estomac ne serait pas trop d'accord. Je me contente de petite gorgées d'eau et de boisson isotonique. Après environ 10km je mange enfin ce qui me fait un bien fou, ayant commencé à avoir faim dès le début du second tour de natation. Mon compteur est sur le temps et non sur les kilomètres. Je dois veiller à m'hydrater et m'alimenter régulièrement alors je me fixe des timings à respecter en terme de temps en non de distance pour encore plus de régularité. Le vélo est important en terme de ravitaillement. Non seulement c'est la partie la plus longue donc il faudra y dépenser beaucoup d'énergie, mais je sors de 1h30 d'effort sans un seul ravitaillement et je devrai courir un marathon ensuite donc ce n'est pas le moment de finir le vélo sur les rotules. De plus, c'est sur le vélo qu'il est le plus simple de s'alimenter et de digérer, étant porté sur le vélo et n'ayant pas les chocs et secousses de la course à pied. Mangez une raclette et allez courir 10km et vous comprendrez votre douleur !

Il y a beaucoup de monde sur la route. Les triathlètes de l'Half et du Full se trouvent sur la même route. Il y a donc toujours du monde à doubler ou pour vous doubler. Ce sont des points de repères et ça occupe l'esprit. On ne se sent jamais seul. Il y a plus de coureurs qui me doublent que l'inverse mais uniquement des coureurs de l'Half. Comme ils partent pour un seul tour ils peuvent mettre plus de rythme que moi alors je ne me focalise pas sur eux même si il est toujours difficile de se laisser doubler sans avoir envie d'accélérer. Mais je reste bien concentré sur moi et mon effort et j'arrive à me contenir. Le long de la mer, le vent est plutôt favorable alors j'essaye d'enrouler un bon braquet sans trop forcer pour rester économique. Et arrive le moment où il faut tourner à droite, laisser le bord de mer derrière soi et entamer le retour sur Almere avec maintenant le vent défavorable. Et alors là...

Une tout autre course commence. Je me tasse un peu plus sur mon vélo, essaye de rentrer la tête dans les épaules telle une tortue effrayée pour glisser le plus possible dans le vent. Le retour se fera sur de longues lignes droites à travers des champs sans rien pour nous abriter du vent. Beaucoup d'athlètes m'ayant doublé vent dans le dos butent à présent face au pire ennemi du cycliste. Je me rends compte que je suis plus efficace qu'eux face au vent sans pour autant augmenter considérablement mon rythme. Je redouble pas mal de monde et je progresse tout de même à 30-32km/h contre un vent assez important alors je suis satisfait de moi et décide de maintenir cet effort. Je termine mon premier tour et arrive à la séparation entre Half et Full. Alors que les triathlètes de l'Half tourne sur la droite pour aborder le retour en direction d'Almere, je dois continuer tout droit et entamer ma deuxième boucle. Il faut tout refaire une deuxième fois !

Je suis donc lancé pour un deuxième tour au début duquel je prend bien le soin de récupérer un bidon d'eau au premier ravitaillement du circuit ayant déjà bu un bidon d'eau et un de boisson isotonique au premier tour. J'ai prévu le même tarif pour le second tour. La boucle est la même qu'auparavant mais le paysage est complètement différent. Fini les grosses grappes de coureurs à perte de vue, les triathlètes de l'Half nous ayant quitté, et comme nous en sommes à plus de quatre heures d'effort, les écarts commencent à être importants alors c'est maintenant des gros vides qui s'étendent à perte de vue. Je comprends qu'à partir de cet instant, ce sera mentalement qu'il faudra être très fort car je suis plus seul que jamais. La ligne droite de trente kilomètres le long de la mer me paraît interminable. La route semble être étirée comme un chewing-gum qu'on tient avec ses dents et qu'on tire avec le doigts. Elle est rectiligne, de plus en plus fine et semble terminer sa course dans la mer. Au 130ème kilomètre, je commence à avoir un coup de mou. J'ai le vent dans le dos et je ne ressens plus sa fraîcheur agréable. Il est bientôt midi et la température monte. Je commence à m'inquiéter car je dois encore faire les 40km du retour vent défavorable et mes forces s'amenuisent. Comment vais-je finir le vélo ? Aurai-je encore de l'énergie pour courir après ? Les questions et les doutes commencent à envahir mon esprit. "Reprends-toi Alexis, c'est pas le moment de flancher. Reste concentré sur ton effort et ton ravitaillement". Je réduis le temps entre mes ravitaillements pour essayer de me refaire une santé et j'augmente la fréquence et les quantités de boissons ingérées puisque je crains un peu la chaleur. J'arrive de nouveau sur la partie vent de face.

Le vent a forci. Je suis moins rapide qu'au premier tour. Logique. 28-30 km/h ce qui me fait dire au vu de mes sensations du deuxième tour que j'ai peut-être fait une erreur en partant un peu trop vite. Pas facile de gérer un effort solitaire sur 180km surtout lorsque c'est son premier Ironman. Ce sont des repères uniques impossibles à prendre même à l'entrainement car il est extrêmement difficile de simuler le même effort. Je dois reprendre un nouveau bidon à un ravitaillement pour satisfaire à mes nouvelles obligations d'hydratation. Je dois à tout prix me refaire une santé avant le marathon. Je décide de sacrifier ma fin de vélo pour préparer ma course à pied. C'est ça aussi la gestion de l'effort, il faut faire des sacrifices, prendre des décisions, rapidement, s'y tenir et tout ça avant de perdre sa lucidité sinon notre jugement est altéré et c'est là qu'on fait des erreurs fatales. Je relâche énormément mon effort sur les 20 derniers kilomètres pour soulager mon estomac et me permettre de manger des plus grandes quantités de nourriture solide, plus consistante mais plus longue à digérer. Je dois le faire assez tôt avant la fin du vélo pour que tout soit assimilé pour le début de la course à pied afin d'éviter les remontées gastriques. Je mange tout ce qu'il me reste et m'hydrate un maximum. Je sens que ça va un peu mieux.

J'arrive au croisement où les athlètes de l'Half nous avaient quitté. Cette fois-ci, à mon tour de tourner à droite. Je suis maintenant sur le chemin du retour. Je termine vraiment en roue libre les mains sur les poignées de frein et non plus sur les prolongateurs de façon à soulager mon dos et m'étirer un peu afin d'attaquer la course à pied dans les meilleurs conditions. J'approche de l'esplanade et du parc à vélo et je longe le parcours pédestre. Il y a beaucoup de personnes qui courent déjà. Les premiers de l'Ironman mais aussi encore des personnes de l'Half. J'arrive au parc à vélo, je descends de ma machine sans précipitation et regagne mon emplacement pour redéposer mon fidèle compagnon à deux roues. Je vais dans la zone de changement pour déposer mon casque, mes chaussures et emballages vides dans mon sac pour les échanger avec mes affaires de running, chaussures, visière et montre accéléromètre pour avoir ma vitesse en temps réel. Je prends deux gels énergétiques, un que j'ingurgite immédiatement et un autre que je glisse dans ma poche pour plus tard. Je sors de la zone de changement et après une petite pause pour satisfaire à un besoin naturel ("arrêt pipi" dans le jargon technique du sportif), je m'élance pour la partie la plus difficile, pour ce qui va être une première pour moi (j'ai déjà nagé 3.8km et roulé 180km auparavant), un défi inimaginable il y a encore peu.

 

Le marathon...


16/09/2016
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Jour J : Episode 2 : Only the beginning of the adventure*

*Only the beginning of the adventure (Seulement le début de l'aventure) - Harry Gregson Williams - Narnia soundtrack 2005

 

Cette fois c'est vraiment parti, mon Ironman est enfin lancé. Fini la longue attente, le stress, les doutes et les interrogations. Une fois le départ lancé, seul mon effort importe, je ne me concentre que sur ma course. Le départ natation est un peu plus violent que je ne pensais. Je me suis placé sur la gauche pour pouvoir viser la première bouée en ligne droite et je me trouve sur la deuxième ou troisième ligne. Mais il y a de l'enjeux, la course étant support des championnats nationaux de triathlon longue distance, le début de course est âpre pour se placer dans les premières places et pour ne pas se faire distancer des meilleurs dans la course au titre. Après avoir pris quelques coups de pieds et de poings, je décide que ce n'est pas ma course et je ralentis mon allure pour les laisser passer. Pas la peine de prendre des risques, c'est seulement le début de l'aventure et je ne veux pas hypothéquer mes chances de réussite à cause d'un mauvais coup dans l'eau. Je le rappelle, mon objectif est d'aller au bout et non pas de faire un temps canon donc à quoi bon prendre des risques pour gagner cinq ou dix minutes.

La nage se déroule donc dans le lac séparant le camping, où j'ai logé toute la semaine, de l'esplanade de départ et d'arrivée. Un lac plein d'algues assez grosses qui montent presque jusqu'à la surface. Elles nous caressent les mains et le visages quand elles ne s'accrochent pas dans les jambes pour nous ralentir. Un grand triangle est dessiné par les bouées près de l'esplanade, représentant une boucle de 1,9km à parcourir deux fois pour couvrir la distance demandée de 3.8km. Après avoir laissé passer les fauves, je retrouve un peu de place pour allonger mes mouvements et poser ma nage. 3.8km à la nage c'est long mais le plus long sera à suivre alors pas question de tout donner maintenant. Je ne cherche pas la vitesse mais à faire des mouvements efficaces et économiques. Il ne faut pas tourner les bras à fond la caisse et taper des jambes comme un dératé sinon je n'irai pas bien loin alors les mouvements sont lents et je recherche avant tout des sensations de glisse dans l'eau. Tout se déroule plutôt bien en ce début de natation. Après la première bouée, quasi demi-tour pour aller chercher la prochaine. Cette deuxième ligne droite est un peu compliqué car le soleil comme à pointer le bout de ses rayons à l'horizon. Il nous éblouit à chaque fois que nous relevons la tête pour nous orienter en cherchant les petites bouées de guidage entre les grandes bouées de virages. Il est très difficile de se repérer alors je suis machinalement les personnes qui me précèdent en espérant qu'elles nageront assez droit pour ne pas trop rajouter de distance. J'arrive à voir régulièrement les bouées de guidage donc ça va on nage droit. Arrivé à la deuxième bouée, virage à gauche pour viser la troisième, proche du bord. Pas de problème sur ce tronçon, le soleil étant sur mon côté droit et comme nous avons déjà parcouru plus d'un kilomètre, la place ne manque pas pour nager tranquillement. Troisième bouée et nouveau virage à gauche pour viser la première bouée qui paraît si loin.

J'entame mon deuxième tour sur le même rythme, les sensations étant toujours bonnes. Les écarts sont de plus en plus importants passé le deuxième kilomètre alors maintenant plus question de suivre les autres, il faut souvent relever la tête hors de l'eau pour chercher les bouées, je ne peux plus compter que sur moi même. Me revoilà à la première bouée où j'effectue à nouveau mon demi-tour. Le soleil est toujours ras mais un peu moins handicapant. Je commence à ressentir la faim. Mes difficultés à m'alimenter la veille au soir et le matin même se font ressentir. L'idéal pendant un effort est d'avoir le ventre vide pour ne pas être importuné mais en contre partie il faut s'alimenter et s'hydrater régulièrement pour ne pas risquer le coup de mou ou pire, la fringale et l'hypoglycémie. Or pendant la partie natation, impossible de se ravitailler et ça fait bientôt une heure que je maintiens un effort relativement soutenu. Il me tarde donc d'entamer le vélo pour me ravitailler. Encore une fois, le chemin est encore long et je ne veux pas me cramer d'entrée alors sentant la faim arriver je relâche quelque peu mon effort pour m'économiser. Les triathlètes de l'half Ironman, partant cinquante minutes après nous, se sont donc élancés peu de temps après mon passage près de la ligne de départ. Les premiers ne tardent pas à me rattraper nageant sur un rythme beaucoup plus élevé que le mien. Je m'écarte légèrement pour les laisser passer et ne pas risquer un coup involontaire. Virage à la deuxième bouée de ce second tour, le rivage se rapproche, je tiens le bon bout. Troisième bouée et je vois la sortie de l'eau face à moi. Les derniers mètres se passent tranquillement, je ne m'enflamme toujours pas et commence à penser à ma transition à suivre. Je profite quand même de mes derniers mouvements dans l'eau car même si je ne fais pas un temps exceptionnel (environ 1h30), je n'ai pas trouvé cette partie très longue et difficile et je sais que les deux disciplines suivantes me donneront plus de fil à retordre.

J'atteins le bord et me relève doucement en m'agrippant aux rambardes pour éviter les vertiges et désorientations dû au changement de position. Passer d'une position couché pendant 1h30 à une position debout modifie la circulation sanguine ce qui peut entraîner ces déséquilibres. Certains zig-zaguent, titubent ou même tombent au sol à la sortie de l'eau. Sortie calme, je marche et je récupère pendant que je retire le haut de ma combinaison néoprène en me dirigeant vers la zone de changement où se trouvent mes sacs. Jonathan, sortie de l'eau juste derrière moi, me double et m'encourage avant de continuer sa course pour faire sa transition. Moi je reste au pas pour bien souffler et penser à tous ce que j'aurai à récupérer dans mon sac. Arrivé vers mon sac, je m'assieds par terre en étalant mes affaires pour tout vérifier et ne rien oublier. Je range soigneusement mes affaires de natation, enfile chaussettes et chaussures de vélo, attache ma ceinture porte dossard, pré-ouvre mes sachets de nourriture pour gagner du temps et répartis tout ça dans mes poches en triant bien pour ne pas chercher cent sept ans ce que je voudrai manger. Après avoir attaché mon casque je sors de la zone de changement et arrive dans le parc à vélo. En approchant mon emplacement je me rends compte que seul mon vélo est encore présent sur le rack. D'autres vélos sont là mais sur des racks plus lointain, alors de voir mon vélo seul me tire un sourire mais ce n'est pas un souci pour moi, je ne vise pas la gagne. Je récupère ma machine et sors du parc à vélo, toujours en marchant, passe la ligne de sortie de transition et peux enfin enfourcher ma monture.

 

C'est parti pour 180 kilomètres en vélo...


15/09/2016
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